La journée électorale d'Idriz 

28 Octobre 2000 : c'est le grand jour. Nous avons suivi Idriz, un ami kosovar, dans son parcours pour aller voter. Toutes les photos ont été prises à Pristina, Giakova et Mitrovica les 27 et 28 octobre (cliquez sur une photo pour l'agrandir)

Toute la semaine qui a précédé les élections, de nombreuses manifestations pré-électorales ont eu lieu dans toutes les villes de la partie albanaise du Kosovo. Ici, un défilé pour le PDK, un des trois principaux partis en présence.
Ce qui frappe au premier abord dans toutes ces manifestations, c'est l'âge moyen des participants : des jeunes, parfois des très jeunes. Un grand nombre n'ont pas 18 ans et ne voteront donc pas - ce qui n'atténue en aucune manière leur enthousiasme.
D'une manièe générale, la campagne s'est déroulée sans incidents (à part quelques bagarres dans la région de Gjakova). 

Plutôt que des sigles de parti, on voit partout ici un seul emblème : le drapeau rouge avec l'aigle bicéphale de l'Albanie. Preuve - si besoin en était - que les élections sont surtout pour les Kosovars albanais un moyen de manifester leur volonté d'indépendance pour ce qu'ils considèrent être leur pays.

A gauche, un Albanais portant le chapeau traditionnel. Seuls les vieux le portent encore. Dans les villes, on n'en voit pas beaucoup.

A droite : Idriz,  un ami Kosovar qui parle et comprend le français, et qui nous a aidé à mieux comprendre son pays.

Durant tout notre séjour, Idriz nous a conduit avec sa Golf rouge dans tous les coins du Kosovo.

Le 28 octobre au matin, il nous a servi d'interprète dans notre tournée des bureaux de vote.

Première étape, un bureau de vote à Pristina où nous arrivons tôt le matin - juste à temps pour croiser Ibrahim Rugova, fondateur du LDK (Ligue Démocratique du Kosovo) et ex-président avant la guerre de la République auto-proclamée du Kosovo.

Comme tout le monde, Ibrahim Rugova vient déposer son bulletin de vote. Difficile de l'approcher - il est bien sur entouré de gardes du corps.

Dans tous les bureaux de vote, la participation populaire est massive. Les files d'attente sont impressionnantes. De nombreuses personnes devront attendre plus d'une heure avant de pouvoir entrer dans le bâtiment qui sert de bureau de vote.

Le vote est ouvert entre 7 heures du matin et 19 heures. Mais devant l'ampleur de la participation et la lenteur du processus, de nombreux bureaux prolongeront les heures d'ouverture et resteront ouverts bien tard dans la nuit (parfois plus tard que minuit).

Le vote n'est pas obligatoire. Pour pouvoir voter les Kosovars ont donc dû se faire inscrire sur les listes électorales il y a quelques mois. Ce processus a été rendu extrèmement difficile par le fait que beaucoup de Kosovars albanais qui se sont réfugiés à l'étranger avant la guerre n'ont plus de papiers d'identité (ils ont été confisqués ou brulés par les forces Serbes ou les militaires macédoniens).
Pour résoudre ce problème, l'OSCE et l'UNMIK ont donc mis en place il y a six mois des bureaux où les habitants du Kosovo pouvaient venir se faire enregistrer, en apportant si possible une preuve de leur identité. 

De nombreuses précautions ont été prises pour éviter toute fraude dans ce processus : on a pris une photo et les empreintes digitales de chaque personne enregistrée, et le tout a été mis sur ordinateur. Par la suite, on a ouvert dans toutes les villes des "Quick Check Centers", où chacun pouvait venir vérifier les données qui étaient enregistrées, et vérifier qu'il n'y avait pas d'erreur. 

Munis du papier qu'ils avaient reçu à leur enregistrement, les électeurs s'adressent d'abord à un "Help Desk" situé à l'entrée, et où on leur indique le numéro du bureau de vote dans lequel ils doivent se présenter.
A l'entré de chaque bureau, deux affiches en anglais "NO SMOKING" et "NO WEAPONS". Défendu de fumer - défendu de porter des armes...

(on ne sait pas ce qui des deux est le plus dangereux pour la santé)

Avant d'entrer dans le bureau, chaque électeur doit présenter son index droit pour vérification.

En effet, pour éviter toute tentative de voter deux fois, chaque électeur reçoit sur le doigt au moment où il vote, une marque d'encre indélébile, visible uniquement à l'ultra-violet. Le système fonctionne très bien : on a essayé.

Nous avons suivi Idriz dans le bureau de vote. Tout comme chez nous, ceux-ci sont installés dans des écoles, des mairies ou des bâtiments publics.

Vu le contexte, on avait mis bien sur en place un dispositif extrèmement important, y compris une protection par la police de l'UNMIK et par la KFOR.

D'après les chiffres communiqués par l'OSCE qui a pris en charge tout le processus, le nombre de membres du staff qui ont été impliqués dans l'opération approche les 50.000. Cela inclut bien sur de nombreux observateurs et fonctionnaires étrangers, en plus du personnel local.

 

Première étape, présentation de sa convocation et vérification de son identité.

Caractéristique unique de ces élections : chaque bureau de vote avait une liste imprimée de tous les électeurs inscrits dans le bureau, avec leur photo - tout a vraiment été mis en place pour éviter des accusations de fraude. Et de fait, aucune plainte n'a été déposée.

Après avoir reçu son bulletin de vote et avoir été marqué au doigt par de l'encre spéciale, Idriz  se rend à l'isoloir et choisit son candidat sur la liste. 

Comme chez nous, il est possible de voter en tête de liste, ou bien pour un candidat particulier sur une (une seule) liste.

Dernière étape, le bulletin est déposé dans une urne transparente et scellée. 

Lorsque le vote sera clôturé, ces urnes seront dépouillées sous le contrôle des nombreux observateurs locaux et étrangers, avant d'être conduites sous bonne garde à Pristina pour les décomptes finaux.

A huit heures du soir, grande effervescence dans les locaux de l'OSCE à Pristina. On y prépare une grande conférence de presse pour les correspondants du monde entier qui ont tous débarqué à Pristina pour assister à cet événement.
Vingt heures dix : Bernard Kouchner arrive, en compagnie de nombreuses autres personalités de l'UNMIK, de l'OSCE et de la KFOR. Le ton est enthousiaste, parfois grandiloquent (comment empêcher Kouchner d'être grandiloquent ?) : c'est un succès ! Participation massive des Albanais ainsi que des minorités bosniaques, roma et ashkali. Aucun incident notable, aucune plainte d'aucune partie concernée et pas la moindre violence.
Eglise serbe de Gjakova, détruite par des extrémistes albanais après l'arrivée de la KFOR Seul ombre au tableau -importante, mais c'était connu : la minorité serbe a refusé (et a été empêchée par ses leaders) de participer au scrutin. C'est une décision qui avait été prise avant la chute de Milosevic, et on espère qu'avec le nouveau gouvernement à Belgrade les choses pourraient être différentes. Dans son discours Bernard Kouchner annonce son accord pour organiser dès que possible d'autres élections dans les localités serbes du Kosovo, qui n'ont pas participé aujourd'hui.

Reportage et photos : Armand Burguet