Cabra : Un village comme les autres...

Cabra (prononcez "chabra") est un petit village à quelques kilomètres à l'ouest de Mitrovica. Un village comme les autres ? pas vraiment ! Sa particularité: c'est un village albanais, dans une zone serbe du Kosovo.

Il faut savoir qu'au Kosovo, seules les quelques villes étaient plus ou moins multiethniques. A la campagne, dans la plupart des cas, un village était soit serbe, soit albanais. 

Mitrovica est la limite entre deux parties du Kosovo. Une rivière sépare la ville : au nord on parle serbe, au sud on parle albanais. Les ponts qui enjambent la rivière sont maintenant encore de temps en temps le théâtre d'affrontements entre les deux communautés.

Au Nord de Mitrovica, presque tous les villages sont serbes. Avant la guerre il y avait seulement quatre villages albanais: Kosutovo, Bistriça, Cerenja et Cabra. Tous les quatre ont été complètement détruits.

Le maire, Osman Rama, dans la petite tente qui sert d'école.Le maire de Cabra, Osman Rama, nous raconte:

"Il y avait 2013 habitants à Cabra: 211 familles dans 252 maisons. Il y avait 311 enfants à l'école primaire, et nous avions 18 professeurs.

Ils sont venus une première fois. Il y avait des militaires réguliers, des para-militaires, des hommes de la police et même des gens des villages environnants. Ils nous ont chassés et ils ont mis le feu à toutes les maisons du village après les avoir pillées. J'étais parmi les derniers à le quitter, et j'ai tout observé depuis la colline où nous nous étions réfugiés. Comme tout n'avait pas complètement brûlé, ils sont revenus une deuxième fois pour remettre le feu. Et après cela ils sont encore revenus avec un bulldozer, pour être sur qu'il ne reste aucune trace de notre présence."

En attendant la reconstruction, les habitants logent sous les tentes dressées par le UNHCR...Les trois autres villages ont subi le même sort, et sont à présent toujours rayés de la carte. Leurs habitants espèrent revenir au printemps et les reconstruire. Mais à Cabra, on n'a pas attendu. A la place du village se dressent maintenant 230 tentes. Des bâtiments préfabriqués sont en construction et vont bientôt être opérationnels. A l'école, il y a maintenant 211 élèves et 13 professeurs. Ce n'est pas le grand confort : l'école se compose de deux tentes, dont une seule a un petit chauffage au bois. Nous sommes dans la montagne et dehors il peut faire très froid. Les élèves suivent les cours pendant 40 minutes, puis font de la gymnastique pour se réchauffer. Les élèves ont reçu de l'Unicef un sac à dos en nylon, avec 5 cahiers, une gomme et des crayons. Pour le reste, on se débrouille. 

La classe de huitième primaire. Non chauffée - dehors il fait moins dix degrés.Dans la première classe que nous visitons, le professeur Fetah Ferzi, son bonnet sur la tête,  essaye de donner cours malgré le froid.  C'est la huitième année (la dernière de primaire ici : les   élèves ont 13-14 ans). Il y en a une douzaine en classe. Trois livres en tout et pour tout. On espère qu'ils vont en imprimer à Pristina mais en attendant, on partage. Depuis neuf ans tout livre en albanais était interdit et détruit. Dans l'autre tente (la petite, très sombre mais légèrement chauffée), nous trouvons Felmi Alin, qui donne cours d'albanais à 18 élèves. Un seul livre pour tout le groupe. Mais une nouvelle école en préfabriqué va bientôt être reconstruite grâce à une ONG anglaise: "Children on the Edge".

C'est que le village a de la chance d'avoir Osman Rama pour maire. Il est profondément attaché à reconstruire son village. Il parle anglais. Avant la guerre, il était député de l'assemblée parlementaire clandestine qu'avait formée le président de la LDK (Ligue Démocratique du Kosovo) : Ibrahim Rugova. Et il avait été élu deux fois. Il connaît beaucoup de monde dans les milieux politiques kosovars, et cela aide. En ce moment, en plus de sa charge de maire de Cabra, il est directeur d'une école à Mitrovica, ville dans laquelle se sont établis de manière temporaire un grand nombre des citoyens de Cabra.

Fetah Ferzi, professeur. Derrière lui les deux tentes qui servent d'école.Il y a quelques mois, c'est Olivier David et son équipe de CARE à Mitrovica qui ont aidé le village à entamer la reconstruction, en mettant en place la grande tente blanche pour l'école et les tentes UNHCR pour les habitants. 


Voir l'article à ce sujet dans le dossier spécial du "Soir en Ligne"


Cette page a été écrite en décembre 1999. Je suis retourné à Cabra en octobre 2000. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Voir la page "A Cabra rien n' a changé".